
Quelle influence sur la performance ? Quelle piste de travail en préparation mentale ?
Je vous propose aujourd'hui un article sur le thème de la bête noire. Si vous avez un peu de temps devant vous et que vous voulez comprendre comment se nourrit votre bête noire, lisez cet
article.
Je mets volontairement plusieurs références qui peuvent vous permettre d'approfondir le sujet.
La « bête noire », expression française répandue, se dit de quelque chose ou de quelqu’un qui nous pose de grandes difficultés, ne nous met pas en réussite, nous porte malchance.
Dans le domaine sportif, celui qui nous intéresse ici, on évoque cette expression lorsque l’on parle d’un adversaire qui nous a mis régulièrement en difficulté par le passé, contre lequel on a
perdu. Précisons que la bête noire n’est pas toujours un individu mais peut-être une équipe. Ainsi, alors que Djokovic est souvent présenté comme étant la bête noire de Nadal, à titre individuel
donc, cette notion se retrouve par exemple entre les all black et le quinze tricolore, le second étant vu comme la bête noire des premiers. Stipulons également que la bête noire peut-être
dépersonnalisée et donc liée à un contexte particulier, vu comme préjudiciable. Un sportif pourra dire : « Je ne suis jamais performant le matin de bonne heure. » Un autre affirmera : « Le
couloir 5 ne me réussi pas, je vais rater ma course. »,
Nous comprenons là que cette expression s’appuie sur des expériences passées pour catégoriser, définir, un individu, une équipe voire un contexte.
Quel est le problème ?
Pourquoi nous semble-t-il nécessaire de nous soucier de la bête noire du sportif ? Dans quelle mesure cette représentation qu’un individu se fait d’une personne, d’une équipe ou d’un contexte
influence-t-il sa performance ?
Le principe de « bête noire » en sport nous renvoie très souvent aux notions de prédiction créatrice ou d’autoréalisation des prophéties. Selon Merton, « La prédiction créatrice débute par une
définition fausse de la situation, provoquant un comportement nouveau qui rend vraie la conception, fausse à l’origine»(1). Il s’est lui-même appuyé sur le théorème de William Thomas, l’un des
fondateurs de l’école de Chicago qui disait : « Quand les hommes considèrent certaines situations comme réelles, elles sont réelles dans leurs conséquences. »
Dans son ouvrage Frankenstein pédagogue, Philippe Meirieu évoque lui la notion d’effet Pygmalion, du nom de ce sculpteur de la mythologie grecque, qui, tombé amoureux de sa statue la
métamorphosa en femme de chaire et d’os. Comme Thomas et Merton avant lui, le pédagogue explique que la réalité se conforme à la vision qu’on en a, qu’on s’en fait, tant celle-ci résulte d’une
construction individuelle.
« Si l’on annonce à des enseignants que tels et tels élèves ont de grandes capacités intellectuelles, il y a toutes les chances pour qu’ils obtiennent d’eux d’excellents résultats. (…) Ces
enseignants vont s’adresser à ces élèves d’une manière différente, avec une attitude particulièrement bienveillante susceptible de les mettre en confiance, en soutenant leurs efforts et en
mettant leurs difficultés ou leurs échecs sur le compte d’une faiblesse passagère facilement rattrapable »(2).
Dans cet exemple nous voyons que les enseignants mettent tout en œuvre pour faire coïncider la perception qu’ils ont des élèves avec la réalité. Cela les amène à minimiser les comportements qui
pourraient contredire leur conviction, d’où la prédiction créatrice puisque l’individu crée la réalité. La réalité se conforme, peu à peu, à l’idée qu’on s’en fait.
Nous voyons bien là qu’il puisse s’agir d’un enjeu important pour le sportif. D’après les théories brièvement présentées, nous comprenons qu’il y a une forte probabilité pour que le joueur qui a
défini tel adversaire ou contexte comme étant sa bête noire mette en place de façon inconsciente des stratégies et des comportements qui viennent confirmer et donc renforcer cette représentation.
Notons que le propos serait le même pour l'élève ou l'étudiant qui perçoit telle ou telle matière comme étant sa bête noire. La problématique est la même, également, dans le monde de l'entreprise. Nous le verrons dans un futur article.
Pour le dire autrement, nous pourrions penser qu’une telle représentation ne permette pas au sportif de mettre toutes les chances de son côté pour performer, se disant : « De toute façon je n’y peux rien, c’est ma bête noire. » Avec ce type de perception, l'individu se voit d’une certaine façon perdant avant même le début de l’épreuve. Dans Nos paysages intérieurs (3), Sylvie Tenenbaum explique comment cette subjectivité de la représentation d’une situation conditionne nos comportements.
Quels éléments de réponse la préparation mentale peut proposer ?
Il semble important, dans un but de performance, d’aider le sportif à prendre conscience de l’influence de ses représentations sur son approche de la compétition et ses prestations motrices.
Comme un cauchemar, la « bête noire » est une création de l’esprit, sauf que cette dernière naît et se développe sur des temps d’éveil et influence directement certains comportements. Pierre
Frola, multiple recordman du monde en apnée « no limit » dit : « Dès que j’entrais dans un milieu sombre et obscur, j’avais cette crainte de rencontrer un danger. Un monstre qui n’existait, en
fait, que dans mon imagination. (…) Au lieu d’être centré sur moi, j’étais distrait par les éléments.(4) »
Cette prise de conscience, associée à un travail en préparation mentale annonce l’agonie de la « bête noire ».
En effet, grâce à un travail d’identification et d’explicitation des croyances, des pensées négatives, de reformulation du discours interne, de travail sur l’arrêt de la pensée et le switch, le
sportif peut enclencher une restructuration cognitive et modifier ainsi son appréhension de la situation vécue précédemment comme étant une « bête noire ».
Développer une imagerie mentale de confiance peut également être un outil pertinent, comme l’a fait Thierry Lincou joueur de squash : « Je me représentais au centre d’un cercle de tous les meilleurs mondiaux du top 10. (…) Je leur serrais la main et je leur disais : « Maintenant c’est mon tour, c’est moi le plus fort, c’est moi qui vais être le Numéro Un mondial. (5) » Ce travail entrepris lui a permis de modifier la représentation de ses adversaires et d’aborder ces matchs avec un état d’esprit différent. Ils n’étaient plus sa « bête noire ».
Comme le disait Paul Eluard : « Je vois le monde tel que je suis avant de le voir tel qu’il est. »
A travers cet article, nous voyons succinctement dans quelle mesure les représentations et donc les bêtes noires peuvent influencer les comportements d’un individu. Le préparateur mental peut
aider le sportif à modifier sa perception d’un adversaire ou d’un contexte afin qu’il puisse exprimer son potentiel de manière optimale.
Cessez de nourrir votre bête noire au risque de la rendre de plus en plus vorace !
Mort à la bête noire !!!
1 MERTON, R.K. (1953 [1949]). Eléments de méthode sociologique, Paris: Plon, p.173.
2 MEIRIEU, P. (1996). Frankenstein pédagogue, Paris :ESF éditeur, p.23.
3 TENENBAUM, S. (2000). Nos paysages intérieurs, Paris, InterEditions.
4 BEN-ISMAEL, K. (2012). L’Equipe Mag n°1548, 17 mars 2012, p. 54.
5 RIPOLL, H., (2008). Le mental des champions, Paris, Payot, p. 109.