Sur la route, un moment de doute. L’attaquant d’Everton Aaron Lennon a été arrêté le 30 avril dernier dans la banlieue de Manchester. Alertée par des automobilistes, la police l’a interpellé dans un état étrange. Après avoir été examiné, le joueur a été admis en hôpital psychiatrique pour une maladie liée au stress ; il n’avait plus joué depuis février. Dans le football professionnel, le mal est plus répandu qu’on ne le croit : 37% des joueurs présenteraient des symptômes d’anxiété et de dépression, selon une étude de la FIFPro, le syndicat international des footballeurs, parue fin 2016. Dans la population globale, ce chiffre gravite autour de 15%.
Baisse de performance, environnement instable, difficulté à retrouver un contrat… Une publication de l’université de Bath liste plus de 600 facteurs de stress selon plusieurs thèmes : relations avec l’équipe, le staff ou les médias, conditions de travail, déplacements et hébergement… Tous ces problèmes peuvent s’imbriquer dans un cercle vicieux. Guillaume Borne, défenseur retraité, a connu sa descente aux enfers. Tout est parti d’une soufflante reçue dans les vestiaires rennais, à 18 ans seulement. La confiance s’envole, la carrière dégringole. De la Ligue 1 au National, à Beauvais. Puis Pôle emploi et l’attente de la sonnerie du téléphone. Il perd 8 kg en deux mois, se blesse lorsqu’il essaie de remonter la pente.
Sous Valium à 18 ans
La blessure est souvent le point de départ d’une mauvaise passe. Les joueurs victimes de trois lésions graves durant leur carrière sont deux à quatre fois plus susceptibles d’être touchés mentalement, selon la Fifpro. Le stress est aussi un facteur de mal-être sur le terrain et en dehors. Ray Wilkins ne dira pas le contraire. Dans les années 1970, le milieu anglais est promu capitaine de Chelsea. Il n’a que 18 ans. Il est sous Valium pour soutenir la pression. Des troubles exacerbés par la notoriété. "Ils sont exposés parce qu’ils sont regardés, analyse Meriem Salmi, psychologue du sport. Quand vous faites une bêtise et que vous êtes footballeur, ce n’est pas la même chose que quand vous êtes haltérophile ou joueur de badminton. Ça prend tout de suite une autre dimension.
L’argent est un vecteur de pression en plus selon le préparateur mental Raphaël Homat : "Certains jeunes se disent que réussir peut vraiment changer des choses financièrement. On n’aura pas cette réflexion dans d’autres disciplines : si on fait du 3.000 m steeple, ce n’est pas en devenant champion de France qu’on pourrait changer la vie de sa famille."
Autre moment critique : quand la carrière s’arrête. "Chanceux d’avoir joué jusqu’à 40 ans", dont quatre mois au PSG en 1987, Ray Wilkins a ainsi sombré dans l’alcool une fois à la retraite. Au Daily Mail en 2014, l’international anglais résume : "C’est dur de remplacer ce que le sport vous donne." Meriem Salmi, qui a travaillé avec Teddy Riner ou Mathieu Bastareaud, confirme : "C’est très angoissant d’entrer dans un monde inconnu. Faire le deuil de 15 ans de vie dans ce monde-là, c’est pas simple." Selon l’étude de la FIFPro, 35 % des anciens joueurs souffrent de symptômes dépressifs. Cela va parfois plus loin que les troubles du sommeil ou l’alcool. L’ex-attaquant irlandais Paul McGee, membre du Crazy Gang de Wimbledon, a connu une carrière compliquée, entre promesses précoces et transfert avorté. Lorsqu’il met un terme à sa carrière en 2003, c’est le calme plat. Il gamberge. Déprime. Tente d’en finir en 2010.
"Culture macho"
Malgré l’étendue et la gravité du fléau, une réelle omerta étouffe les problèmes de santé mentale. "L’erreur que j’ai faite, ça a été de ne pas en parler", a confié Guillaume Borne à Ouest-France à propos de ses déboires. Peur du jugement, peur d’être déclassé dans un milieu à la "culture macho", selon les mots de Vincent Gouttebarge, médecin-chef de la FIFPro. "C’est un tabou qu’il faut faire tomber", dit-il. "C’est toujours délicat de se plaindre quand on gagne 20.000 euros par mois", remarque Raphaël Homat, qui enseigne la gestion du stress en école d’ingénieurs. Meriem Salmi met le doigt sur un autre souci : le manque d’oreilles attentives. "Ils n’osent pas en parler mais surtout il n’y a pas de professionnels autour d’eux pour ça", remarque-t-elle.
L’UNFP, le syndicat français des joueurs professionnels, a pourtant bien mis un dispositif en place. Trois heures par semaine, des psychologues sont à l’écoute des joueurs, anonymat garanti. Aux Pays-Bas, une étude-pilote de la FIFPro est en cours : tous les joueurs qui raccrochent les crampons sont invités à consulter un médecin pour déceler de potentielles fragilités et encadrer les jeunes retraités. Si le test est concluant, il sera adapté par les syndicats nationaux. Son rapport pointe du doigt l’irresponsabilité des employeurs, les clubs. "Il faut a minima un professionnel spécialisé en psychologie clinique qui puisse intervenir, appuie Meriem Salmi. La préparation mentale, c’est très intéressant, mais ce n’est pas suffisant."
Raphaël Homat, qui encadre des joueurs sur demande personnelle, s’interroge sur la neutralité des médecins salariés par les clubs. "Les blessés se disent : 'Si je le dis au kiné, il va le dire au médecin, qui va le dire à l’entraîneur et je ne vais plus jouer'." Pour lui, il faut avant tout prévenir le mal, en adoptant un mode de vie équilibré. Avoir un projet social, amical, entrepreneurial, familial en plus de son métier ; "une soupape". Des méthodes à inculquer dès les catégories de jeunes. "Trop souvent dans les centres de formation, on fait tout pour que le jeune ne s’identifie qu’à son étiquette de footballeur. On ne sait pas trop qui on forme. Mais on ne forme sans doute pas des hommes ou des citoyens."
Par Alexis Magnaval